CINÉMA D’ANIMATION

CINÉMA D’ANIMATION
CINÉMA D’ANIMATION

La représentation symbolisée, suggérée ou réalisée du mouvement apparaît comme une tentation constante des arts plastiques. Des siècles de simulacre magique, de théâtre d’ombres ou de spectacle de projection confirment la persistance du vieux rêve humain de donner le mouvement à des images.

Mais la détermination des principes originaux de l’animation est plus spécialement liée aux recherches consacrées à la décomposition et à la synthèse visuelle du mouvement.

Le terme d’animation définit toute composition de mouvement visuel procédant d’une succession de phases calculées, réalisées et enregistrées image par image, quel que soit le système de représentation choisi (dessin animé sur celluloïd ou, en termes de cinéma, sur cellulo, marionnette articulée, dessin sur pellicule, animation d’éléments découpés), quel que soit le moyen de reproduction employé (lithographie, photochimie, enregistrement magnétique, traduction en information numérique pour ordinateur), quel que soit enfin le procédé de restitution du mouvement (feuilletoscope, couronne de prismes du Praxinoscope, projecteur cinématographique, magnétoscope, console graphique d’ordinateur).

Liés au développement de l’imagerie de reproduction cinématographique et de l’illustration caricaturale des journaux quotidiens (cartoons éditoriaux, dessins humoristiques, bandes dessinées), les premiers grands débuts de l’animation vont confirmer le triomphe de la caricature que la diffusion de l’estampe par le journal avait inauguré au XIXe siècle.

De 1917 à 1935, les progrès des techniques de réalisation puis de reproduction (le son en 1928, la couleur en 1932) renforcent l’association du dessin animé et des formes du dessin caricatural imprimé en les adaptant aux exigences de la technique du dessin animé sur cellulo (dessin bouclé, personnage massif) qui autorisait le développement d’une production rationnellement organisée et la recherche d’un public de masse. En fait, la quasi-totalité du monde a, pendant quarante ans, compris et apprécié les animated cartoons américains.

Le caractère populaire et presque rural de cette imagerie prolonge jusqu’au milieu du XXe siècle l’étonnement provoqué par les débuts de l’imagerie chromo-lithographique de la fin du XIXe siècle.

Après la Seconde Guerre mondiale, les canons caricaturaux du dessin animé américain cessent d’être dominants.

En 1956, le bouleversement des conditions de production et de diffusion, dû aussi bien au développement de la télévision qu’à celui du livre de poche, vont inciter les nouveaux venus à accentuer consciemment toutes les occasions de rupture avec les standards formels, thématiques et dynamiques de l’animation. Dans les domaines de l’affiche, de la caricature, de l’illustration de magazine ou de livre, et de la peinture, l’accélération des communications graphiques a développé les formes virulentes d’imagerie compétitive qui, au début des années soixante, vont s’installer dans le champ de l’animation. Dans ce nouveau jeu placé sur un terrain nouveau également, c’est par vagues successives que les principes novateurs (animation sur fonds unis ou blancs, animation de «collages», réduction linéaire des personnages, animation de textures picturales, etc.) sont repris et amplifiés. Avec cette recherche volontaire de la singularité instrumentale, thématique et formelle, encouragée par de nouvelles formes de diffusion et de promotion, le cinéma d’animation se trouve pris dans un mouvement de formalisation croissante, défini par des cycles de mode, qui aboutit à une usure accélérée des modèles, des styles et des procédés.

Cependant, le développement des moyens électroniques dans les années soixante-dix, en préparant l’apparition de méthodes nouvelles de composition et de production artistique qui entraînent des formes de curiosité et de sensibilité différentes, a modifié cet état de choses.

1. Histoire et tendances

Les observations et les expériences du physicien Joseph Plateau (1801-1883) sur la persistance rétinienne ont préparé les techniques d’analyse et de reconstitution d’un mouvement visuel à partir d’une succession d’images fixes. La photographie n’étant pas encore capable de fournir les instantanés successifs qui ont permis la mise au point du cinéma, c’est d’abord l’idée d’une analyse et d’une synthèse graphique du mouvement qui va se développer. Des appareils à lecture directe du mouvement vont porter le nombre des phases utilisées de seize (Phénakistiscope de Plateau, 1832) à vingt-six et même cinquante (Zootrope de Horner, 1834). Émile Reynaud, pour son Théâtre optique (1888), allonge indéfiniment la bande porteuse d’images, traçant et coloriant lui-même jusqu’à sept cents poses successives pour réaliser les premiers films d’animation de l’histoire des arts visuels (Un bon bock , 1889; Autour d’une cabine , 1894).

Naissance du cinéma d’animation

Dès 1905, Segundo de Chomon, le premier, utilise le film et une caméra à manivelle (qui ne permet pas encore d’isoler des images uniques) en animant des lettres et des motifs dessinés par groupes de trois à huit images.

Ce sont les progrès de l’imagerie de reproduction industrielle américaine qui vont permettre à l’animation de se développer en tant qu’art et technique particulière. En 1895, les débuts du cinéma coïncident avec ceux de l’illustration dans les journaux quotidiens (suppléments illustrés, bandes dessinées). Le cinéma d’animation et plus spécialement le dessin animé vont réunir dans un même procédé les conquêtes graphiques du dessin imprimé et les promesses du cinématographe. Les premiers cinéastes d’animation sont tous des caricaturistes de presse: James Stuart Blackton, qui, dès 1906, invente le procédé des «dessins qui se font tout seuls», Émile Cohl en France (1908), Anson Dyer en Grande-Bretagne ou Victor Bergdhal en Suède. Windsor McCay, cartoonist new-yorkais glorieux, qui voyait dans l’animation un art original, pousse le contrôle du mouvement et du dessin à un point qui n’a pas été dépassé (Little Nemo , Gertie, a Trained Dinosaur , 1909).

Débuts de l’animation industrielle

Après 1913, Raoul Barré, John Randolph Bray fondent les premiers grands studios organisés où les méthodes de production se précisèrent. L’invention des barres à tenon permettant l’animation sur papier, l’utilisation du cellulo, brevetée par Bray et Hurd en 1915, vont faciliter une division du travail et une concentration des talents qui se traduisent d’abord par une augmentation quantitative de la production. Les premières séries apparaissent, centrées sur des personnages originaux: Colonel Heeza Liar , Boby Bumps (1914) de Bray, ou sur des héros de bandes dessinées: Mutt and Jeff (1916) de Charles Bower et Raoul Barré, Jerry on the Job (1916), Katzenjammer Kids , The Crazy Cat (1917).

Les progrès des moyens de tournage et de l’animation, en favorisant le dynamisme proprement graphique et visuel des films, vont aider l’animation à se développer suivant des voies qui lui sont propres, aboutissant à la vitalité exemplaire du Koko the Clown (1915) de Dave et Max Fleischer, comme à l’énergie picaresque et chorégraphique des Farmer Al Falfa (1919) et des `sop’s Fables (1921) de Paul Terry. En 1919, Pat Sullivan et Otto Mesmer lancent un personnage qui deviendra, en 1921, Félix le chat : premier personnage dessiné universellement apprécié, c’est l’archétype de tous les personnages animés jusqu’en 1940 (de Crazy Cat à Mickey Mouse) et il oriente les animateurs vers de nouveaux types de héros personnalisés et des formes inédites de fantaisie idéographique.

L’âge classique de l’animated cartoon

Avec Walt Disney, la rude imagerie caricaturale, chorégraphique et animalière des prédécesseurs se plie à des formes plus élaborées de cocasserie et de gentillesse pastorale qui caractérisent les séries Mickey Mouse (1928) et Silly Symphonies (1929). L’apparition du son entraîne une priorité euphorique du tempo musical (sous l’influence de U. B. Iwerks qui prolongera cette tendance dans sa série Flip the Frog , 1930). L’entrée de la couleur en 1932 enrichira encore la vitalité dynamique et symbolique de l’univers disneyen en soulignant le goût campagnard qui le détermine.

Grâce à une technique et à une organisation rigoureuse, les ateliers de Disney pourront lancer une galerie de personnages très populaires: Mickey (1928), Pluto (1930), Goofy (1935), Donald Duck (1936), et tirer du cinéma dessiné toute sa puissance spectaculaire. Assumées par une pléiade de réalisateurs, d’animateurs et de décorateurs de premier ordre, les productions de Disney ont imposé au dessin animé un éclat homogène et des modèles graphiques, mimiques et rythmiques qui, pendant vingt années, serviront de modèles aux animateurs du monde entier. Après 1936, les ateliers de Disney, devenus des usines modèles, parviendront à produire ce que l’on croyait jusqu’ici impossible: des longs métrages rentables en dessin animé (Blanche-Neige et les Sept Nains , 1937; Pinocchio , 1940; Bambi , 1942, etc.).

À partir de 1928, les dessins animés sont devenus un élément indispensable du spectacle cinématographique. Les grandes compagnies de production ouvrent à Hollywood leur propre département d’animation. Hugh Harman et Rudolph Ising parviennent seuls à égaler occasionnellement la fantaisie et la musicalité maîtrisée des œuvres disneyennes avec leurs séries Looney Tunes (1930) et Merrie Melodies (1931), produites pour la Warner, ou les Happy Harmonies , réalisées aux nouveaux studios de la M.G.M. fondés en 1934.

Recherche du paroxysme

La grande dépression économique des années trente puis la Seconde Guerre mondiale vont conduire les animateurs américains à accentuer la force burlesque aux dépens des formes de fantaisie hiéroglyphique venues de la première époque en noir et blanc, aux dépens de l’allégresse tempérée caractérisant la tradition disneyenne. Avec des personnages comme Betty Boop (1932) ou Popeye (1933) animés par Dave et Max Fleischer; sous l’influence de Ben Hardaway, Frank Tashlin, Isadore Freleng, Fred (Tex) Avery, Charles Jones et Robert Clampett, à la Warner; avec des personnages comme Porky et Beans (1936), Duffy Duck (1937) ou Bugs Bunny (1940) dans les séries Merrie Melodies et Looney Tunes... s’accroissent le degré de folie métaphorique, pantomimique et vocale des personnages comme la violence du traitement visuel. Pour la Universal, Walter Lantz (et Ben Hardaway, Alex Lovy, Shamus Culhane) lancent un pivert «survolté» et bavard, Woody Woodpecker (1940), et une série de Swing Symphonies (1941) qui doteront la folie contagieuse de l’animated cartoon de la force rythmique qui lui manquait encore. À la M.G.M., à partir de 1942, Tex Avery va pouvoir déployer son goût pour les traitements «explosifs», tournant en dérision les stéréotypes de la vie américaine, du cinéma et même du dessin animé, avec un sens des trouvailles énormes soutenu par une remarquable rigueur de développement.

Dans leur série Tom and Jerry (1940), réalisée pour la M.G.M., William Hanna et Joe Barbera résument toutes les tendances modérées ou corrosives de l’animated cartoon , donnant au système «poursuite chien-chat-souris» son aspect définitif. Après la Seconde Guerre mondiale, l’équilibre financier de l’industrie du dessin animé, comme celui du cinéma, a été modifié par l’état nouveau des communications. À la Universal, Tex Avery et Alex Lovy parviennent encore à maintenir la force agressive de la série Chilly Willie à force de hiératisme et d’économie superbement contrôlée. Dernier représentant magistral du cartoon caricatural classique, Charles (Chuck) Jones tire quelques éclats inédits de la forme usée des poursuites animales (The Roadrunner , 1956; Sam and Ralph , 1954). De nouveaux styles et de nouveaux genres se développent tandis que le cartoon classique disparaît lentement – plus lentement cependant qu’on aurait pu le croire.

Tendances européennes

Pendant que quelques ateliers européens essaient vainement d’égaler la perfection technique et humoristique de l’animation américaine, des créateurs isolés, persuadés qu’en matière de dessin animé caricatural l’Europe ne fera rien de mieux que les animateurs d’Hollywood, tentent de trouver autre chose en introduisant dans le cinéma d’animation leur exigence de peintre, de graveur ou d’illustrateur. En 1930, Berthold Bartosch anime dans l’Idée , à l’aide de transparences brumeuses, les formes puissantes et tragiques de Franz Masereel. Sur un instrument original, l’écran d’épingles , Alexandre Alexeieff et Claire Parker parviennent à animer les qualités de la gravure dans Une nuit sur le mont Chauve (1933). Les fonds crayonnés et les personnages longilignes de La Joie de vivre de Hector Hoppin et Anthony Gross ouvrent, dès 1935, les voies d’un graphisme personnel appliqué à la technique du dessin animé sur cellulo. En U.R.S.S., de jeunes peintres et dessinateurs abordent l’animation sans abandonner ni leurs recherches graphiques originales, ni les savoureux excès du dessin populaire (Tsekhanovski: La Poste , 1930; Khodatayev: Organchik , 1932; Ivanov Vano: Conte du petit tsar Dourandaï , 1934).

La Première Guerre mondiale avait consacré le quasi-monopole américain du cinéma d’animation, la seconde va l’abolir en favorisant la multiplication des centres de production d’abord européens puis mondiaux, en suscitant une diversification décisive des styles. John Halas et Joy Bachelor en Grande-Bretagne, Paul Grimault en France (Le Voleur de paratonnerre , 1945; Le Petit Soldat , 1947; La Bergère et le Ramoneur , 1953) échappent les premiers à la tyrannie des canons caricaturaux et rythmiques du dessin animé américain. En prenant la tête des studios d’animation de Prague, le peintre et illustrateur Ji face="EU Caron" シí Trnka pousse la simplification graphique et la justesse caricaturale à un degré insolent d’économie et de nouveauté: Le Cadeau (Darek ), 1946. Tous les progrès de l’école tchèque tiennent à une conjugaison originale du talent des réalisateurs (Eduard Hoffman, Ji face="EU Caron" シí Brdecka, Josef Kabrt, Zdenek Miler) et de celui des créateurs plastiques (Lhotac, Freiwilig, Seydl ou encore Zdenek Miler).

Dès 1944, le groupe américain de la United Production of America, sous l’impulsion de John Hubley, introduit dans le dessin animé caricatural les enrichissements de la peinture et de l’illustration (Flat Hatting , 1946; Rag Time Bear ; Rooty Too Toot , 1952). Avec Pete Burness (Mr. Magoo), William Hurtz (The Unicorn in the Garden , 1952), Ted Parmelee et Robert Cannon (Gerald Mac Boing Boing , 1950; Fudget’s Budget , 1954) la science hollywoodienne de l’animation se trouve rénovée par un recours à la couleur pure et au dessin fortement stylisé.

Les écoles nationales ne vont plus cesser de se multiplier en accélérant la diversification plastique du dessin animé: à partir de 1952 au Canada, autour de Norman McLaren (Colin Low, Wolf Kœnig, Grant Munro, Robert Verrall); vers 1956 en Yougoslavie (Vatroslav Mimica: Un solitaire , 1957; Dušan Vukoti が: Concerto pour mitraillette , 1958, Vlado Kristl: Don Quichotte ); en Pologne, en Hongrie, en France, en Italie, en Argentine, à Cuba...

En U.R.S.S., la réorganisation des arts soviétiques et leur bureaucratisation en 1932 avait entraîné la centralisation des studios et leur orientation obligatoire vers les auditoires enfantins, emprisonnant pendant vingt ans l’animation soviétique dans les limites étroites d’une fantaisie vertueuse et appliquée. Il faut attendre 1953 pour que les réalisateurs osent quelques schématisations et montrent une allégresse moins scolaire (Diojkine et Pastchenko: Le Petit Chat désobéissant , 1953; Le Match extraordinaire , 1955; Alexandre Ivanov: La Merveille , 1957), et tentent un renouveau graphique (Romane Davidov, Fedor Hitrouk). Contrariant la priorité absolue du dessin animé industrialisé (Anatole Karanovitch), ils aboutissent à une brillante et composite adaptation des Bains de Maïakovski (1961) par Youtkevitch et Karanovitch.

Le film de marionnettes

Dès le début du cinéma image par image, les principes de l’animation ne furent pas seulement appliqués au dessin mais également aux objets (Stuart Blackton, de Chomont, Cohl). En 1909, le Polonais Ladislav Starevitch commence à tirer une animation excellente d’insectes séchés, puis de marionnettes articulées. À partir du Nouveau Gulliver (1934) d’Alexandre Ptouchko, on ne peut plus douter de la possibilité de remodeler image par image des figurines de glaise ou de plastiline. Georg Pal et plus tard Bettiol et Lonatti parviendront même à donner à leurs personnages une vivacité comparable à celle des personnages de dessin animé.

La Tchécoslovaquie, en combinant une science traditionnelle de la marionnette et les libéralités d’un cinéma d’État, va porter cette forme de cinéma d’animation à la perfection (Hermina Tyrlova, Karel Zeman, Ji face="EU Caron" シí Trnka). Ce dernier et ses animateurs atteindront un degré de force plastique et d’ampleur lyrique inimitable: Le Prince Bayaya , 1950; Les Vieilles Légendes tchèques (S’tarè povesti face="EU Caron" カeske , 1953) que Bretislav Pojar parviendra seul à retrouver (Un verre de trop , 1954; Le Lion et la Chanson , 1958), obligeant le film de marionnettes à sortir, en Pologne, en Bulgarie ou en Allemagne de l’Est, du domaine restreint de l’imagerie enfantine.

Le réalisme matériel de l’animation tridimensionnelle permet aux animateurs de renforcer le pouvoir d’illusion et de visualisation des truquages classiques, notamment dans le cinéma fantastique ou de science-fiction, qu’il s’agisse de The Lost World (1924), des effets spéciaux de Fischinger pour La Femme dans la lune (Frau in Mond , 1928) de Lang, des marionnettes de Marcel Delgado pour King Kong (1932), des animations de Georg Pal pour Destination Lune , Choc des mondes ou encore du contrôle plastique et rythmique d’éléments réalistes assuré par Saul Bass dans West Side Story .

En combinant des éléments dessinés et des marionnettes avec des décors et des personnages réels, Karel Zeman parvient à nous faire entrer avec naturel dans l’imagerie gravée des romans de Jules Verne: L’Invention diabolique (Vynalez Zkàzy , 1957) ou des illustrations de Gustave Doré: Le Baron de Crac (Baron Prasil , 1962).

L’abstraction individuelle

Les préoccupations rythmiques et les recherches d’écriture qui, au début du XXe siècle, animaient la peinture, aux dépens de la représentation des objets, devaient forcément inciter quelques peintres à passer de la cimaise à l’écran et à se servir du film pour donner le mouvement à des formes abstraites (Léopold Survage dès 1912; le Suédois Viking Eggelink: Diagonal Symphonie , 1921; en Allemagne Hans Richter: Rythmus 21 ; Oskar Fishinger et Walter Ruttman).

L’avènement du son oriente ces recherches de pure rythmique visuelle vers des essais d’illustration musicale abstraite. C’est avec la technique classique du dessin animé sur cellulo que Fishinger créera des équivalents imagés de pièces de Liszt, Mozart ou Wagner (Studie V. , 1929) qui lui vaudront quelques contrats américains et l’occasion de lancer aux États-Unis cette tendance du cinéma abstrait et individuel que Len Lye, Norman McLaren, Mary Ellen Bute, John et James Whitney imposeront à l’attention.

C’est en tirant les conclusions extrêmes de la logique séparatrice des images successives du film que certains créateurs d’œuvres non figuratives pourront donner à ce genre des bases propres au cinéma image par image. En se passant de caméra, Len Lye (A Color Box , 1935; Free Radicals , 1957) et Norman McLaren (Love on the Wing , 1937; Fiddle De Dee , 1947) parviennent à contrôler le mouvement visuel à même son système de construction, en dessinant les motifs qui le détermineront directement sur le ruban de la pellicule. Avec les séries d’images perdues dans le néant d’une pellicule noire (Blinkity Blank , 1955) ou les points en quinconce de Mosaïque (1965), McLaren dépasse les recherches cinéplastiques pour mettre en question notre perception et nos capacités à identifier les objets et les formes. À partir de 1954, Robert Breer réalise des films par avalanche d’images uniques laissant à notre œil le soin de regrouper les images et de lire certains motifs (Jamestowns Baloos , 1957; Blazes , 1961). Avec des séries calculées et discontinues de signaux plastiques simples, Pierre Hébert s’adresse directement à notre rétine (Op Hop , 1967).

D’autres recherches poursuivent essentiellement les «valeurs de signes» et la provocation des mécanismes de compréhension; telles ces œuvres de McLaren, composées de minuscules pictogrammes successifs tracés sur l’espace exigu de la pellicule (Dollar Dance , 1943; Rythmetic , 1956), ou la simplification calligraphique des personnages de certains films de John Hubley (Tender Game , 1958), ou encore les manipulations de symboles condensés dans les génériques animés par Saul Bass (larmes de Bonjour tristesse , 1957; défilé des objets typiques du Tour du monde en quatre-vingts jours , 1956).

Avec la manipulation des signes et des formes significatives commence la volonté de transmettre un savoir: ce que cherchent la rigueur fonctionnelle des films de Ray et Charles Eames, les leçons de géométrie de John Fletcher ou les ballets géométriques de René Jodoin.

Développement des techniques expéditives

Dès 1943, au département d’animation de l’Office national du film canadien, Norman McLaren entraîne de jeunes réalisateurs à des techniques d’animation plus économiques que celles du dessin animé sur cellulo ou de la marionnette. Pour chacun de ses films, McLaren semble même inventer un nouveau cinéma, passant de l’animation d’éléments découpés (Le Merle , 1958) à la modification image par image d’un dessin au pastel (La Poulette grise , 1947) animant même des personnages vivants comme des marionnettes de cinéma (Les Voisins , 1952).

Après 1953, une diversité croissante des styles et des procédés expéditifs va caractériser le développement du cinéma d’animation. Des créateurs indépendants vont pouvoir s’exprimer image par image, avec des moyens limités, par un travail solitaire qui leur permet de préserver la personnalité de leur style et de leur projet: en Grande-Bretagne, Péter Földess (Animated Genesis , 1952); en France, Henry Gruel (Martin et Gaston , 1953) ou Jacques Colombat (Marcel, ta mère t’appelle , 1963); en Italie, Maselli et Luzzati (Histoire des paladins de France , 1962).

L’accélération des communications sociales (le progrès des transports comme des moyens de reproduction ou de diffusion), en compromettant définitivement l’équilibre de l’industrie cinématographique, va entraîner la quasi-disparition de l’animation complexe et, par là même, de la production d’équipe.

Seul vestige de l’animation industrielle, une production massive et interchangeable s’emploie, à partir de 1958, à répondre aux besoins démesurés de la télévision, aux États-Unis et au Japon d’abord, puis en Europe, en créant des foules de personnages nouveaux, en illustrant des saynètes radiophoniques.

L’exploitation de la stylisation spirituelle pratiquée par la United Production of America (U.P.A.) s’étant révélée encore trop dispendieuse, de nouveaux réalisateurs américains et européens vont battre des records d’humour ascétique et de hiératisme bouffon (Al Kousel: The Juggler of Our Lady , 1957; Ernest Pintoff: Flebus , 1959; Dick Williams: The Little Island , 1958; Ion Popesco Gopo: Courte Histoire , 1957; George Dunning: Wardrobe , 1959).

Cinéma d’art et d’essai

À partir de 1956, les progrès des imageries de reproduction et des moyens de diffusion vont confiner le film d’animation dans les circuits restreints du film d’art et d’essai. De nouvelles formes d’aide bureaucratisée, une critique de soutien, des manifestations de promotion spécialisées (à partir des Journées internationales du cinéma d’animation à Cannes en 1956) et même une Association internationale des cinéastes d’animation (A.S.I.F.A.) vont encourager la singularité thématique ou plastique plus que les qualités du mouvement ou de la composition. En s’accommodant de dynamisme élémentaire, voire d’images fixes, beaucoup d’œuvres finissent par représenter l’animation comme un cas quelconque de l’accélération des communications graphiques, et de la consommation de styles et de méthodes de présentation. Les normes réductrices de la U.P.A. sont remplacées par l’exploitation laconique et sarcastique de personnages linéaires lancés sur des fonds vides (Vystrcil: Une place au soleil ; Lehky: Trois Hommes , 1961; Bruno Bozzeto, Todor Dinov, etc.).

Il existait une science modeste et originale de la création du mouvement visuel image par image qui va momentanément cesser d’être exploitée. Un nouvel esprit, dominé par une volonté de rupture avec les anciennes lois du genre, favorise les recherches de stylisation intense, de caricature inquiète et d’humour destructeur, nourries par tout un folklore d’angoisses et de perversions stéréotypées. Dans les imageries obsessionnelles de Yoji Kuri comme dans la séduisante ankylose onirique des peintures d’ex-voto de Laguionie (L’Arche de Noé , 1966), ce n’est plus à l’animation qu’il s’agit de donner du caractère, mais à son absence.

Le maître de cette animation évacuée demeure Walerian Borowczyk qui, après avoir animé des phases photographiques avec une remarquable avarice sérielle (L’École , 1958; Les Astronautes , 1959) combine une rigueur de composition et de manipulation magistrale avec des formes de maladresse calculée, de laideur voulue et des mouvements rares et imperceptibles, pour aboutir à la froideur infernale de Renaissance (1963) ou du Jeu des anges (1964).

Il appartient cependant à quelques réalisateurs de conjuguer encore des recherches heureuses de liberté picturale avec une connaissance du métier de l’animation: John et Faith Hubley (Adventure of , 1957; Tender Game , 1958; Moon Bird , 1959); George Dunning (The Flying Man , 1962); Murakami et Wolf (The Breath , 1967) ou Robert Lapoujade (dans ses animations de surfaces poudreuses de Foule , 1959, ou de motifs peints à l’huile pour Trois Portraits d’un oiseau qui n’existe pas , 1963).

Avec une force récapitulative indéniable, le dessin animé de long métrage de George Dunning, The Yellow Submarine (1968), résume vingt ans d’évolution technique et plastique des imageries de reproduction, et propose aux cinéastes d’animation, un folklore graphique qui servira au développement d’une nouvelle production stable et populaire.

2. Les techniques de l’animation

Les cinéastes de prise de vues réelles et les cinéastes d’animation utilisent un même système d’analyse et de reconstitution image par image du mouvement visuel, supposant pour le cinéma standard cinquante-deux images par mètre de film et un défilé de vingt-quatre images par seconde. Mais le mouvement que crée l’animateur n’a jamais préexisté dans la nature. Chaque image devient pour lui une occasion de décision et d’invention. À la composition de ce que contient l’image (soumise aux lois habituelles de la communication graphique) vient s’ajouter la détermination de la série des intervalles, des écarts morphologiques séparant chaque image et qui, à la projection, recomposeront le mouvement visuel.

Technique classique du dessin animé

Dans cette technique les phases successives du motif en mouvement sont tracées sur des calques superposables placés sur une table transparente. Une règle à ergots correspondant à des perforations imposées à tous les documents filmables (calques, cellulos ou décors) assure la parfaite superposition des phases de mouvement au moment de leur création sur les calques successifs comme lors du tournage des cellulos sur un banc de prise de vues image par image.

À partir de 1915, l’introduction du cellulo transparent qui remplace le papier translucide va rendre possible le traçage en noir ou en couleur du contour du personnage sur une face et le remplissage de la silhouette obtenue avec une gouache opaque sur l’autre. Chaque phase du personnage en mouvement peut être posée sur un fond décoré (que le cellulo transparent laisse apparaître autour de la silhouette colorée du personnage), puis ciné-photographiée sur une ou plusieurs images, et enfin remplacée par la phase suivante du mouvement qui sera tournée à son tour. Favorisant la division du travail, l’accroissement de la quantité comme la précision de l’animation, le dessin animé sur cellulo a permis le développement industriel du dessin animé et celui de l’animation comme métier et art original du mouvement graphique.

Le film de marionnettes et d’objets

Le principe du tournage image par image peut également s’appliquer à des objets tridimensionnels, qui, à une échelle réduite, posent des problèmes d’espace scénographique et d’éclairage comparables à ceux de la prise de vues réelles. La position ou la forme d’objets familiers peuvent être légèrement déplacées pour chaque image tournée, en fonction d’une trajectoire ou d’une transformation prévue (Stuart Blackton, Walerian Borowczyk et de nombreux films publicitaires).

On peut également déterminer les phases d’une animation à partir de marionnettes articulées placées dans des positions successives qui seront enregistrées image par image (Ladislav Starevitch, Georg Pal, Ji face="EU Caron" シí Trnka, Karel Zeman, Bretislav Pojar). Cette forme d’animation par déplacement ou modification d’un système articulé n’exige pas la création d’un motif ou d’un personnage différent pour chaque phase de mouvement. Contrairement à l’animation dessinée, l’animation de marionnettes exclut la possibilité de vérifier continuellement les séries de phases, chaque nouvelle position de personnage détruisant la précédente. C’est avec une sorte de conscience manuelle de l’animation que les animateurs déploient le mouvement de leur personnage à l’aide de cette technique qui se prête aussi bien aux mouvements caricaturaux qu’aux larges développements pantomimiques.

Les techniques expéditives

Après la Seconde Guerre mondiale, la multiplication des instruments cinématographiques, l’accélération des communications, le développement des nouvelles écoles nationales vont amener à l’animation un grand nombre de nouveaux créateurs décidés à éviter les techniques lourdes et collectives du dessin animé sur cellulo et de la marionnette en exploitant le fonds commun des principes instrumentaux du cinéma image par image et en mettant en œuvre des techniques économiques et expéditives. Ces procédés qui rappellent ceux des pionniers solitaires des débuts de l’animation (Blackton, Percy Smith, Cohl) permettent à des créateurs indépendants de réaliser des films aussi librement qu’un peintre réalise son tableau, ou un musicien sa partition.

Dessin sur pellicule

Dès 1934, Len Lye et McLaren réalisent des films d’animation sans caméra, en dessinant directement sur la pellicule. S’ils peuvent se passer de caméra, lieu mécanisé de l’analyse du mouvement, c’est que, pour eux, la succession des images qui caractérise le film constitue le principe implicite et fondamental de la création du mouvement et non une formalité technique de son analyse et de sa reproduction. Les séries de motifs minuscules tracés sur l’étroit ruban du film, les lignes continues et les semis de taches apparemment désordonnés sont appliqués en fonction d’images comptées qui, à l’écran, retrouveront une vie colorée et rythmée.

Animation par déplacement

Cette forme d’animation épargne la création d’une phase différente pour chaque image. Le mouvement est obtenu par un léger déplacement image après image d’une constellation d’éléments découpés disposés sur un plan horizontal et constituant le personnage: petits objets, pièces plates (carton, métal) ou en relief, séparées ou articulées (Émile Cohl, Colin Low, George Dunning, Ji face="EU Caron" シí Trnka, Bretislav Pojar, Henry Gruel, Borowczyk, Lenica). Utilisée par transparence, cette technique se rapproche des images de théâtre d’ombres (Lotte Reiniger, Dimitri Babitchenko, Bruno Böttge). Elle peut également utiliser des transparences colorées (Noburo Ofuji), se nuancer d’opacité et de textures contrôlées (Berthold Bartosch).

Animation par états successifs

Les phases successives d’une animation peuvent également être obtenues en modifiant l’état morphologique d’un objet. Ptouchko, René Bertrand, Lou Bunin, Art Clokey transforment image par image les postures ou la forme de silhouettes de glaise ou de plastiline. Il est possible de contrôler la modification des états successifs d’un tableau en exploitant la friabilité d’un dessin au pastel (Philip Stapp, McLaren), de compléter ou de corriger par surcharge des motifs peints à l’huile (Carmen d’Avino, Lapoujade), de modifier l’état ou la position des motifs sur le velours métallique modelable de l’écran d’épingles d’Alexeieff, de découper au couteau dans une surface poudreuse les positions successives de personnages schématiques (Lapoujade) ou de contrôler l’évolution de formes et de lignes par une distribution rigoureuse de poudres colorées (Piotr Kamler).

Tournage image par image de personnages vivants

La technique d’animation de marionnettes articulées peut s’appliquer à des personnages humains qui s’immobilisent dans des séries d’attitudes successives enregistrées sur des images distinctes (Norman McLaren). On peut également constituer des séries de phases d’animation à partir d’instantanés photographiques immobilisant les personnages dans des attitudes successives (Wallace A. Carlson, John Randolph Bray, Henry Gruel, Walerian Borowczyk).

Animation automatisée

De nombreux appareils mécaniques ou électromécaniques ont déjà tenté, avec des bonheurs variés, de réduire la lourdeur de l’animation. Alexandre Alexeieff avec son écran d’épingles (sans doute le premier système de création mécanisée de phases d’animation) comme avec ses animations de formes obtenues avec des pendules composés dont on modifie l’équilibre pour chaque image (Fumée , 1952; Sève de la terre , 1955), John et James Whitney créant image par image des formes en mouvement à partir du contrôle photocinématique (glissement, rotation, agrandissement, etc.) de données élémentaires (points, traits, cercles, etc.) ont accompli les premiers pas vers une animation sinon automatisée, du moins mécanisée et électromécanisée.

Après 1951, le développement du traitement de l’information digitale ou analogique permet d’envisager la manipulation dans un ordinateur des structures et mouvements d’une image dans des conditions de rapidité et d’économie enviables. Ces possibilités ont d’abord été appliquées à des manipulations d’images schématiques (évolution dynamique de modèles mathématiques, physiques, chimiques, architecturaux, mécaniques ou statistiques), à des fins de simulation, d’étude technique ou de présentation pédagogique.

Depuis 1962, les progrès considérables des moyens de communication visuelle et graphique grâce aux ordinateurs (crayon électronique, sortie sur tube cathodique, enregistrement sur microfilm, plotter ) et, depuis 1965, le développement de langages de programmation plus symboliques que numériques facilitant la désignation d’un nombre accru d’ordres et de sous-programmes augmentent encore les possibilités de manipulation. Avec le langage Belfix autorisant huit nuances différentes dans une mosaïque de surfaces rectangulaires, Stanley Vanderbeek et K. Knowltron ont réalisé le luxuriant réseau des images de Collide-Oscope (1966).

Les progrès des techniques de génération de courbe permettent également de produire des dessins animés avec des méthodes de traitement analogique. On contrôle toutes les fonctions de mouvement (expansion, déplacement, contraction, etc.) d’une image traduite en équations mathématiques, ou bien on fournit à l’ordinateur des phases extrêmes de mouvement tracées par un animateur et on laisse à la machine le soin de jouer le rôle d’«intervalliste» créant les phases intermédiaires (essai Oba-Q de la Hitachi Electronics au Japon en 1967).

Les progrès des mémoires, l’usage de la micro-informatique et de logiciels graphiques permettent un développement important de ces nouvelles méthodes d’animation. Après soixante ans d’animation manuelle et d’analyse photocinématographique, le cinéma image par image entrait dans le domaine de l’animation calculée et automatisée, en obligeant ses réalisateurs à mieux distinguer les opérations véritablement créatrices des activités purement machinales.

3. Élargissements multiples

Depuis les origines du cinéma, deux voies se sont présentées aux créateurs d’images mouvantes utilisant les procédés d’enregistrement et de synthèse photomécaniques:

– la prise de vues réelle , qui consiste à enregistrer cinématographiquement, à des cadences de défilement différentes, des moments de réalité qui seront ensuite montés en séquences concertées;

– le tournage image par image procédant d’une succession de compositions et d’enregistrements d’images distinctes, quelle que soit la méthode de réalisation de chacune de ces phases d’animation: création plastique et graphique de chaque image, déplacement d’éléments découpés, remodelage de chaque étape de mouvement d’un personnage en relief, pliage mécanique des articulations d’une figurine...

Pendant un siècle, le succès mondial du photojournalisme et du cinéma, soutenu par les techniques de diffusion et de reproduction de la télévision, a assuré une priorité presque absolue aux images mouvantes naturelles, reléguant au second plan les images de création graphique et assurant la domination d’une esthétique de la reproduction.

Il semble que le passage de la télévision à la couleur, vers 1967, ait apporté un renfort considérable aux valeurs plastiques et graphiques de l’image animée en leur conférant une importance artistique et sociale croissante. Pour le cinéma d’animation, cette évolution s’est traduite dans les années soixante par une généralisation mondiale des méthodes artisanales et industrielles de production et de réalisation; par un accroissement de la demande et de l’offre de programmes de films d’animation à la télévision et au cinéma; par un changement technologique des procédures de création d’images animées, renforcée, comme la prise de vue réelle des années trente, par les progrès de l’instrumentation électronique et informatique; enfin, par un changement du statut culturel de ces images, changement permettant une meilleure reconnaissance de leur valeur expressive et discursive comme de leurs capacités représentatives et symboliques.

Expansion mondiale

Produits presque exclusivement, jusque vers 1945, dans des studios américains ou soviétiques, le dessin animé et le film d’animation ont connu, à partir des années cinquante, un mouvement d’expansion qui s’est traduit par l’apparition d’une multitude d’écoles nationales: dans les années quarante, Cuba, Royaume-Uni, Canada, Tchécoslovaquie, Italie, France; dans les années cinquante, Espagne, Australie, Finlande, Japon, R.F.A., R.D.A.; dans les années soixante-dix, Belgique, Suisse, Pays-Bas, Portugal, Israël, Nouvelle-Zélande... Autour des années soixante, cette multiplication des ateliers nationaux s’est accompagnée de celle des réalisateurs individuels et indépendants.

Avec les premières Journées internationales du film d’animation au festival de Cannes (1956), suivies par les festivals de Londres (1958) et d’Annecy (1960), a commencé un mouvement de repérage et de promotion qui a successivement gagné Mamaïa (1966), Cambridge et Montréal (1967), Zagreb et Ottawa (1976), Varna, Espinho (1977); suscité des associations nationales et internationales (Asifa, 1956; Bilifa, 1971), la création d’ateliers de formation, d’écoles spécialisées, la mise au point de pédagogies; un accroissement des recherches et des présentations historiques qui, à partir de la rétrospective de l’Exposition universelle de Montréal (1967), a redonné une place nouvelle au cinéma d’animation des origines, qu’il ait été américain, suédois, français, allemand..., favorisant une importante production de revues et d’ouvrages spécialisés.

L’animation pour la télévision: évolution économique, technique et stylistique

Vers la fin des années cinquante, la fermeture de quelques studios américains de production de dessins animés pour le cinéma, coïncidant avec une demande croissante des réseaux de télévision, va donner au film d’animation un nouveau champ de développement industriel. En 1957, William Hanna et Joseph Barbera entreprennent des séries d’animation pour la télévision: Ruff and Reddy (1957), Huckleberry Hound, qui sera le premier show télévisé d’animation de trente minutes; The Flinstones, premier programme dessiné à passer en soirée (1960). Hanna et Barbera, qui produisaient avec les Tom and Jerry, pour la M.G.M., quarante-huit minutes d’animation par an, vont devoir donner à la télévision cent vingt minutes par semaine. Ils mettent au point, dans ce but, une forme d’animation planifiée qui va devenir le prototype mondial des solutions au problème posé par la réalisation de longues séries.

Le couplage de l’industrie de la télévision, de la production de dessins animés et de l’industrie du jouet, chargée de l’exploitation des produits dérivés, va ouvrir une nouvelle étape, en posant des problèmes inédits de financement, d’organisation et de recherche technologique.

L’effort de production sera mené à bien grâce à des accords avec des pays étrangers à la nation exploitante ou par des formes de sous-traitance: les Tom and Jerry tchèques de la Rembrandt Film (Gene Deitch, 1965) seront suivis par les films pour enfants des éditions multimédias Weston Woods , les séries réalisées en Yougoslavie (Professeur Balthazar), en Hongrie (Peti de Gyula Macskássy et György Várnai, 1963; Gustav de Jázsef Napp et Attila Pargy, Marcel Jankovics, 1964), et en Pologne avec Les Aventures de Lolek et Bobek. Cependant, dans leurs pays d’origine, certains groupes parviennent à produire: Filmation, Ruby & Spear aux États-Unis, Halas & Bachelor au Royaume-Uni (Foofoo), Gerald Potterton au Canada et, en France, Jean Image (Kiri le clown) et Jacques Rouxel, réalisateur des inclassables Shadocks (1966-1973). En exploitant toutes les possibilités de traçage et de gouachage assistées par ordinateur, le Japon apparaît comme un pôle dominant de cette forme de production avec la Toei – réalisant deux cent cinquante épisodes de 25 minutes chaque année (Goldorak, Candy, etc.) et quelques longs métrages – la Tokyo Movie Shinsha ou la M.K.D. de la N.H.K.

Cette internationalisation qui, dans un premier temps, a réduit le niveau de l’animation (diminution du nombre de phases, abus du slash-system et du réemploi des cellulos dans les longues scènes dialoguées) commence, à partir des années quatre-vingt, à donner lieu à des échanges de talents et de projets plus prometteurs, renouvelant complètement la carte des centres de production. À partir de Yellow Submarine , la production annuelle de longs métrages va plus que décupler, entraînant un renouvellement dramatique ou caricatural et un niveau d’agressivité rarement atteint par les dessins animés classiques (Bruno Bozetto, 1966; Goscinny et Uderzo, 1967; Ralph Bakchi, 1972; René Laloux, 1973; Gerald Potterton, 1981...).

En ce qui concerne le style plastique et scénographique des œuvres, on assiste à une prodigieuse différenciation des expériences créatives qui bouleversent les classements usuels des genres (caricaturaux, picturaux, non figuratifs, instrumentaux ou dramatiques). En dépit de son extraordinaire intérêt, ce foisonnement décourage la description et demeure pratiquement méconnu. Du point de vue du style de dessin, les canons du dessin animé américain caricatural font place à d’innombrables styles graphiques et plastiques, tandis que se multiplient les emprunts aux sources culturelles et picturales nationales. À la commedia dell’arte de l’animated cartoon viennent se joindre les stylisations excentriques et les imprévisibles absurdités de l’école britannique, notamment à l’occasion de courts films-gags aussi laconiques qu’explosifs (Bob Godfrey, George Dunning, Dick Williams), l’humour d’observation des Canadiens (Eugène Federenko), les furies humoristiques italiennes (Bruno Bozzeto, Guido Manuli), ou la parodie des paroxysmes du vieux cartoon (Zlatko Grqic, Fred Burns, Paul Webster), pour aboutir aux caricatures barbares de Geoff Dumbar pour Ubu.

Prolongeant des lignes d’inspiration et de graphisme inaugurées par la U.P.A. et qui n’ont plus rien d’enfantin, certains réalisateurs aboutissent à des formes de récit et d’imagerie dont la crudité d’expression et les formes d’humour mêlé d’érotisme et de satire sociale avaient fait défaut au cinéma animé: ainsi, les longs métrages de Ralph Bakchi ou les courts sujets de Yoji Kuri, George Griffin, Adela Wilson, Peter Foldes, Suzan Pitt. À cette tendance il faut ajouter la stylisation mythologique de Manfredo Manfredi, l’inspiration fantastique de Raoul Servais (Harpya , 1980), la force tragique des créations polonaises de Ruyszard Gzekala et de Daniel Szczechura, l’hyperréalisme onirique de Jerzy Kucia, les cauchemars politiques de Jacques Cardon.

L’une des évolutions les plus marquantes des années soixante-dix est d’ordre esthétique: elle incite les réalisateurs à tout miser sur les valeurs du dessin et des textures en mouvement, en faisant preuve d’une liberté graphique que l’on pouvait, jusqu’ici, croire inacceptable. Retrouvant la spontanéité perdue depuis les années vingt, ou poussant à leur limite les économies de moyens plastiques, apparaissent alors la légèreté chinoise des touches et des tracés des dessins animés de John et Faith Hubley, les peintures infrafiguratives de Lapoujade, le vibrato exacerbé des animations sur cellulo de Michel Longuet ou l’onirisme frénétique de Pierre Vieilleux. Parfois, le réalisateur accumule des croquis au crayon sur papier, réalisés pour chaque image et dont le repérage désinvolte fait constamment bouger non seulement le contour des personnages, mais aussi les textures et le tracé des décors (Kathy Rose, Jean-Jacques Villard). Parfois, l’animation est obtenue par la modification ou l’effaçage, sous la caméra, de motifs tracés à l’encre pour aboutir à des formes stylisées et tachées (Elliott Noyes, Caroline Leaf). Les principes de la décalque rotoscopique des images de prise de vue réelle sont retrouvés et brutalement stylisés par Robert Breer dans Gulls and Buoys (1972), ou par Mary Beams, et aboutissent à des transcriptions plastiques des photogrammes avec une pâte de peintre impressionniste (Georges Scwizgebel).

L’apparition, depuis les années soixante-dix, de nombreuses réalisatrices de films d’animation travaillant sur leurs propres projets souligne l’originalité d’un dessin animé «de femmes» qui, aux dépens des œuvres mécanisées ou agressives de leurs confrères masculins, révèlent des capacités particulières de sensibilité narrative ou métaphorique: ainsi The Street de Caroline Leaf (1976), les parcours obsessionnels de Suzan Pitt ou Kathleen Laughlin, la sincérité biographique de Lynn Smith, Joan T. Friedman, Clorinda Warny (Premiers Jours , 1980), Birgitta Jansson ou le naturel romantique imperturbable d’Irena Garanina.

L’épanouissement des procédures instrumentales d’animation se poursuit, multipliant les modes de construction et les styles d’application. De plus en plus largement pratiquée, l’animation d’éléments découpés permet aux peintres et graphistes de préserver leur singularité plastique (Jan Lenica, Giannini et Luzzati, Nedeljko Dragic, Bernard Palacios, Jean-François Laguionie [La Traversée de l’Atlantique à la rame , 1978]). Cette animation de fragments peut se mêler superbement à des animations de poudre, plastiline ou marionnette, grâce à des jeux d’expositions multipliés avec Piotr Kamler (Chronopolis , 1982) ou se combiner à tous les modes de traitement image par image afin de mieux tourner en dérision l’éclectisme des imageries documentaires de la télévision (L’Affaire Bronswick d’André Leduc et Robert Awald, 1978).

Le domaine de l’animation tridimensionnelle a vu également s’accroître le recours à la pâte à modeler, encourageant une passion pour la déformation et la métamorphose de figurines simplifiées ou l’animation de personnages réalistes et de tableaux complexes (Bob Gardner, Vill Vinton, Birgitta Jansson).

Quant au film de marionnettes, mis à part les épouvantails lyriques de Lapoujade, les fables intimes et brumeuses de Youri Norstein, les suspenses hitchcockiens de Jean-Pierre Jeunet, le futurisme de Ric Megginson, les productions – y compris la superbe brocante de Jan Svankemajer – prolongent et enrichissent les modèles exemplaires de l’école tchèque (Co Hoedman), en retrouvant l’esprit de Ji face="EU Caron" シí Trnka (Olivier Gillon, Kinachiro Kzwamoto, Sdenek Vins).

L’écran d’épingles qu’Alexandre Alexeieff et Claire Parker ont été seuls à utiliser pendant toute leur vie a trouvé des adeptes. À l’O.N.F., un exemplaire canadien de ce système a permis notamment à Jacques Drouin d’en démontrer l’universelle capacité d’application (Le Paysagiste , 1976).

Animation expérimentale et non figurative

Enfin, confirmant l’étendue de la crise des modes de reproduction et de représentation, l’animation a vu se renforcer, dans les années soixante-dix, une solide tradition de création non figurative et de rupture avec les formes narratives, au profit de recherches plastiques et cinétiques propres au cinéma image par image, poussant ainsi à leurs limites les explorations de Fishinger, Len Lye et Norman McLaren.

Dans ce courant de créations abstraites, ou jouant aux limites de la figuration, il faut d’abord retenir des formes de réduction symbolique qui, après Georges Dunning, Jules Engel et Robert Breer, donnent une nouvelle force à la ciné-peinture (Roger Kukes, José Xavier), dotant d’une efficacité comique remarquable l’unique ligne figurative de La Linea (1971-1976) d’Oswaldo Cavandoli.

Ces recherches poussent les réalisateurs à expérimenter des formes de modélisation dynamique en deux ou trois dimensions ou des gestions d’images sériées que les réalisateurs de films informatiques explorent moins librement avec des moyens numériques. Excluant tout élément stylistique personnel, ces productions exploitent les formes géométriques couramment proposées par les systèmes de création graphique assistés par ordinateur: construction d’espaces, autoroutes imaginaires, labyrinthes ou robots (Philippe Leclerc, David Erlich), jeux de vecteurs de Philippe Guerrier.

Engagés dans une méditation «structurelle» sur la nature particulière de la synthèse de mouvements visuels image par image, certains réalisateurs jouent sur les propriétés uniques du phénakistiscope (George Griffin) ou du feuilletoscope (Caroline et Frank Mouris), se livrent à des jeux formels de répétitions et de variations (Richard Zkuzienskji) aboutissant, à partir de l’Arnulf Raider (1960) de Peter Kubelka ou du Flicker de Tony Conrad (1966), à des organisations métriques de groupes d’images vides ou figurées (Studio Béla Balázs, Hollis Frampton, Paul Sharits, Ernie Gehr [Table , 1976]), cherchant plus à exploiter la structure image par image du film ou les particularités de la vision d’un écran qu’à distraire ou émouvoir des spectateurs. Ces recherches de créations sérielles amènent les réalisateurs à tirer des effets cycliques d’un nombre limité de formes régulières et centrées (Perspectrum de Ishu Patel, 1975), selon une logique de gestion de fichier et de matrice de positions (Alfred A. Jarnow [Cubits , 1977], David Lebrun, Adam Becket) ou par des constructions contrapuntiques et des tableaux d’images multiples (Zbigniew Rybzynski: Tango , 1980). Cette tendance constructiviste et combinatoire se reflète dans des œuvres caricaturales ou narratives, notamment dans les jeux d’actions croisées et simultanées de Paul Driessen, Eman Cohen, Josko Marusic. Couronnant ces interrogations structurelles par un travail systématique, Norman McLaren et Grant Munro, en listant les principes de la création image par image dans la série Animated Motion (1977-1981), nous préparent aux formes de maîtrise instrumentale qu’exige l’entrée de l’animation dans le champ des techniques informatiques.

Renouvellement électronique et informatique de l’animation

Une nouvelle étape dans la composition d’images dynamiques s’engage au moment où ce type de création est transformé par les progrès des techniques électroniques et informatiques. Pendant quatre-vingts ans, les techniques manuelles ou mécaniques du cinéma d’animation sont demeurées résolument chronophotographiques. Mais, au cours des années soixante-dix, toute une série de dispositifs de contrôle électromécaniques, de systèmes de traitement et de synthèse électroniques et informatiques des images vont renouveler nos méthodes de conception et de production ainsi que nos habitudes de visualisation.

Automatisation des moyens photomécaniques

Les tables de prise de vue image par image assistées par ordinateur sont aujourd’hui d’un usage courant. C’est pourtant pour des recherches esthétiques particulières que John Withney avait, dans les années quarante, construit autour d’un ordinateur militaire son Cam System (Film Exercice, 1943-1944; Catalog , 1961), afin d’obtenir des effets de traînées lumineuses, d’enchevêtrement dynamique, de flous animés qui exigeaient un contrôle complexe du déplacement des éléments générateurs et du temps d’obturation. Toute cette gamme d’effets (formes floues en mouvement, trames et traînées lumineuses en perspective) va caractériser l’esthétique luministe, surréaliste ou hyperréaliste des films publicitaires et expérimentaux des années soixante-dix.

D’autre part, la précision infaillible de ces moyens de contrôle du mouvement appliqués aux maquettes et aux combinaisons d’effets spéciaux a renouvelé l’art des trucages cinématographiques à partir du film de Stanley Kubrick: 2001, L’Odyssée de l’espace (1961, trucages de Douglas Trumbull) en facilitant les opérations de cache-contre-cache, d’inclusion de parties floues et incandescentes, de superposition des repérages – qu’elles soient réalisées sous la direction de Douglas Trumbull (Close Encounter of the Third Kind , 1977; The Raiders of the Lost Arch , 1981); de John Dykstra (Star Wars , 1977; The Empire strikes back , 1980; série télévisée Battlestar Galactica, 1979), ou par ces deux créateurs réunis (Star Trek , The Motion Picture , 1980) –, transformant ainsi le style visuel des films de genre, d’aventure, de science-fiction ou d’épopée historique et redonnant au cinéma le goût des superproductions spectaculaires.

Reconnaissance des virtualités de l’image électromagnétique

Une deuxième voie de renouvellement s’est imposée, qui sort du cadre spécifique du cinéma d’animation mais n’en exerce pas moins une influence sur la production image par image: celle de la reconnaissance, à partir de 1963, de l’originalité des moyens graphiques et plastiques liés au matériau de l’image vidéo et aux contrôles particuliers du tube à rayons cathodiques. Bien que cette filière «analogique» de création ne satisfasse pas au principe de création discontinue du tournage image par image, l’électronique apporte au camp des «images artificielles» plastiques et graphiques un soutien énergétique et des gains de productivité qui, pour la première fois, permettent à des dispositifs picturaux de concurrencer sérieusement la production des images naturelles du cinéma et de la télévision.

Cette nouvelle tendance des images de création et d’interprétation commence par une révolte iconoclaste et marginale contre le réalisme déjà académique de l’image télévisée. En faisant du réglage ou de la distorsion de l’image vidéo normale le point de départ d’une esthétique, Nam June Paik, Otto Piene, Aldo Tambellini exploitent toutes les formes possibles de perturbation du balayage effectué par le faisceau d’électrons ou de parasitages directs du signal vidéo. L’apparition d’une «vidéo portable» accessible à tous les amateurs et de la télévision en couleurs, vers 1966, encourage la création d’œuvres expérimentales et un goût pour les vibrations de grains et les tableaux informels qui prolonge les animations de textures superposables et de dessins perpétuellement mobiles des années soixante et soixante-dix.

L’informatisation de l’audio-visuel devient évidente à partir de 1957 avec la montée des instruments hybrides, analogiques et numériques, qui, tels les prototypes de Lee Harrison, permettent des contrôles analogues de plus en plus précis et repérables ainsi que des mouvements de lettres ou d’images préexistantes: c’est le cas de Sesame Street (1969) ou des œuvres de Péter Földes (1971), de Kon Nakajuma (1971), de Chris Marker (1982) ou de Roberto Gavioli qui, dans Tchaikowski’s Imagination (1982) combine l’animation sur cellulo à des effets purement vidéographiques.

Vers 1979, l’apparition des systèmes à mémoire de trame inaugure le travail de l’image en direct à un point d’image près (Quantel, Squeezoom, Ado d’Ampex). À partir du contrôle numérique d’images ou de zones d’images, ces dispositifs peuvent stopper, couper en quatre le cadre, lui imposer des rotations, des zooms ou des distorsions, etc. Enrichissant toujours les possibilités de déformation, d’analyse et de contrôle interactif de l’information visuelle, apparaissent, avec Caesar, Système IV et l’I.P.S. de Image WestS.F.P. (1982), des instruments permettant de programmer les mouvements simultanés de motifs et de recourir à une banque d’effets précâblés.

Les techniques électroniques et informatiques poussent également l’animation la plus orthodoxe à sortir du domaine photomécanique (magnétoscope-1 pouce à mémoire d’images autorisant la production d’images successives, pouvant animer quelques dizaines de secondes). Après l’automatisation des bancs de prise de vue image par image photomécanique, à partir de 1979 se précisent les conditions d’un tournage image par image sur bande magnétique (N.A.C., A.E.E., Lyon-Lamb System) qui facilitent le tournage et le visionnement immédiat des tests d’animation, la préparation temporelle d’un story board ou permettent la réalisation de bandes d’animation: Glove Story , Fitcher’s Feathered Bird (1977) de Elliot Noyes Jr., de Stan Hayward, la série télévisée polonaise Ufo-Ludek de Krysztof Stawowczyk (1979), Plama du Hongrois J. M. Hohensce (1980).

Si ce tournant électromagnétique (joint aux progrès du transfert de l’image vidéo sur film et de l’utilisation de système de télévision à haute définition) fait échapper le cinéma d’animation à la chaîne photomécanique, les progrès des moyens de création informatique lui font quitter sa sphère traditionnellement artisanale.

Traitement et synthèse informatiques des images animées

Depuis les années cinquante, mais seulement dans des laboratoires réservés aux recherches militaire, industrielle et architecturale, le couplage du tube cathodique et de l’ordinateur préparait l’émergence d’un nouveau système de création picturale. Lié à un codage de toutes les valeurs visuelles en train de pulsions électroniques binaires aboutissant à une structuration des données sous forme de matrice numérique, ce médium procède à partir de tableaux de chiffres mémorisés qui sont donc, plastiquement et graphiquement, indéfiniment remodelables. Avec l’apparition de l’image numérique, le cinéma d’animation perd ce privilège exclusif du contrôle absolu sur tous éléments de conception et de réalisation plastique, qui l’opposait traditionnellement au flot des images réalistes enregistrées ou transmises de la prise de vue réelle, cinématographique ou vidéo. À partir de 1965, se développe un nouveau champ de création visuelle «artificielle» et animée qui ne répond plus aux seuls principes de discontinuité image par image qui définissaient le cinéma d’animation.

Dans les années soixante-dix, les progrès de la miniaturisation des systèmes de visualisation et des logiciels qui les commandent facilitent l’apparition des dispositifs, non plus de traitement d’images préalables, mais de synthèse numérique d’images, composées en temps réel, à partir de contrôles discrets de type logique. Travaillant, comme Norman McLaren, sans caméra, Stephen Beck, Bill et Louise Etra (1971), Woody et Steina Vasulka (1971), Dan Sandini (1981) à partir d’images d’ondes, de reprise du balayage ou de combinaisons booléennes de zones d’images obtiennent des écheveaux de lignes passant souplement de l’abstraction à la figure, des compositions mosaïques à pas de numérisation variable et des tissages dont les fondements rationnels comme les choix empiriques nous entraînent vers un «autre» audio-visuel.

Le couplage du pouvoir informatique avec les modes graphiques des types de tubes cathodiques – contrôle calligraphique du balayage cavalier, images «réalistes» et mosaïque de «pixels», propres au balayage récurrent de la télévision, écrans numériques extra-plats – propose aux créateurs des moyens de réalisation visuelle en mouvement complètement inédits, qui ont permis les compositions linéaires de motifs périodiques de John Withney (Arabesque , 1975) ou Larry Cuba, les tissages mobiles de Lillian Schwarts (1970), ou encore les mises en scène figurées de Tony Pritchett (Flexipède , 1967), Péter Földes (Metadata , 1971; La Faim , 1974), John Halas (Dilemma , 1980), Mowgli Wittemann (Histoire d’œuf , 1981) ou Jo Donnel (Adam the Dial , Activated Man , 1981), qui marquent bien les progrès d’une animation informatique de personnages.

Ultime chantier de l’image informatique et de la synthèse d’image totalement calculée, l’exploitation en mouvement des points de vue perspectifs aboutit aux effets hyperréalistes des maquettes numériques. Ces productions, en prolongeant les recherches d’images pilotables à des fins de création industrielle ou scientifique ou encore de simulation de situation ou de contrôle de système, aboutissent à des images d’un superbe réalisme plastique – simulation de machines ou de systèmes planétaires pour la N.A.S.A. (James Blinn, Charles Kolhasse), de paysages (Nelson L. Max) ou de visages (Edwin Catmull et Fred Parke).

Depuis les radiances et les déplacements perspectifs du Sunstone de Ed Emshwiller (1979) ou les mouvements d’une caméra «virtuelle» autour du personnage de jongleur mis au point par Triple I (The Adams’s Power , 1981), il est prouvé que des œuvres artistiques saisissantes et personnelles peuvent être tirées des outils généraux de synthèse d’image et de mouvement. Les ressources formelles des mathématiques deviennent de puissants instruments de génération d’images, notamment à l’occasion des paysages ou reliefs tirés des lois des objets fractals (The Peak de Mark Snitilik, Vol libre de Loren Carpenter, 1981).

Depuis Westworld de Michael Crichton (1973), nous avons pris l’habitude de voir le traitement numérique des images jouer un rôle dramatique dans les films de long métrage. Les recherches les plus avancées d’animation assistée par ordinateur ou de maquettes numériques occupent une place grandissante dans les films fantastiques ou de science-fiction: International Information introduit des simulations de personnages dans Looker de Michael Crichton (1981); au New York Institute of Technology, après les réalisations en deux dimensions de Duane Palyka, Lance Williams et Dick Loundun travaillent aux maquettes numériques en trois dimensions de The Works (1983); la Lucas Film a réalisé pour Star Trek II (1982) une séquence de survol d’images fractales; combinant les apports des meilleurs centres de recherche, les Productions Walt Disney nous proposent avec Tron de Steven Lisberger (1982) le premier long métrage presque entièrement composé avec des images informatiques.

Les très courts métrages publicitaires, les génériques d’émissions télévisées ou de films, qui ont toujours été des occasions de composition et de renouvellement des formes visuelles, exploitent désormais un univers spatial et phosphorescent riche en effets pyrotechniques, en jeux de lumières et de reflets, caractérisé par les déplacements parfaits des objets et des sigles ou des multiplications de formes en écho. Toute cette palette d’effets montrent clairement la diversité des moyens proposés, combinant même toutes les techniques connues de synthèse du mouvement de l’image, de l’animation sur cellulo la plus classique aux formes les plus avancées de transformation et de compositions numériques des formes et effets visuels (Robert Abel, 1974; Richard Greenberg, 1970; Harold Friedman, Image Factory, Mid Ocean...).

Une véritable communauté scientifique et technique mondiale est maintenant orientée vers le traitement et la synthèse automatisée des images. Les spécialistes des télécommunications et de l’informatique sont conscients de l’importance des langages de communication discursifs et artistiques et des enjeux culturels d’une recherche d’image liée au développement des moyens informatiques. Dans les années quatre-vingt les cinéastes et les créateurs de films d’animation devraient suivre ce mouvement.

Les exigences de précision et de prévision qu’imposent les nouvelles techniques de création et d’animation automatisées de l’image prolongent directement les habitudes d’attention aux processus de décomposition en éléments successifs, de préconception et de prévision des effets qui ont toujours caractérisé le cinéma d’animation. Mais avec ces progrès instrumentaux les anciennes procédures manuelles du cinéma d’animation sont confrontées avec de nouvelles méthodes de formalisation et de représentation. Il est maintenant nécessaire d’envisager une redéfinition technique du cinéma d’animation tenant compte du renouvellement des modes de production imposés par la montée des techniques numériques. Demeurant un art de composition visuelle fondé sur une succession d’éléments distincts, l’animation doit ajouter à l’unité du cadre (système de construction image par image) celle du point d’image (comme dans l’écran d’épingles d’Alexeieff). Le cinéma d’animation doit également compléter ses moyens traditionnels de conduite calculée des tournages par tout un ensemble de contrôles physiques, logiques ou syntaxiques qui accroissent les capacités de composition non seulement synchroniques mais également diachroniques, comme le prouvent les progrès du traitement de séquence d’images destiné au suivi des cibles ou aux reproductions de mouvements météorologiques.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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